J’avais dis au flic que je réfléchirai, et c’est ce que j’avais fais. Soigneusement. J’avais mis un peu de temps, c’est vrai, et j’assumais parfaitement. Mais ce n’est pas vraiment le genre de décision qu’on prend à la légère. Je voulais être sure de moi, et c’était quelque chose qui était assez difficile en ce moment. J’avais longuement pesé le pour et le contre. Dans le pour, il y avait le fait que j’apprendrais peut être enfin à contrôler ce que j’avais en moi-même si ça prenait du temps, et que du coup, je pourrais peut être le mettre dans un coin de mon corps et l’oublier, sauf à la pleine lune, une nuit par mois. Dans le contre, le comportement macho, le manque de tact et la brusquerie de Carl Francis. Son côté « je me fous de tout et de tout le monde » aussi. Et pourtant, question quantité, le pour pesait bien plus lourd dans la balance imaginaire que je m’étais faite dans ma tête. C’était comme ça. Un peu con surement, mais je n’avais pas vraiment d’autre opportunité. C’était la seule que j’avais devant moi pour pouvoir continuer à avancer tranquillement sans risquer de me réveiller après une nuit de pleine lune et de me rendre compte que j’avais du sang, peut être humain, qui me resterait sur les mains et autour de la bouche. Rien que d’y penser, cela me faisait frissonner. Encore pire s’il s’agissait de gens que je connaissais dans la vie de tous les jours, que je pouvais croiser en me rendant au super marché ou au boulot.

J’avais mis un certain temps avant d’appeler le flic, quand même. Non seulement parce que j’avais du mal à m’avouer que j’avais pris une telle décision, mais aussi parce que du peu que j’avais vu, il pouvait m’envoyer promener à peine le combiné décrocher, merci, mais non merci… J’avais souvent ouvert le répertoire de mon smart phone à la recherche de son numéro, mais avait cliqué sur « retour » plutôt que sur « appeler ». Ok c’était un peu puéril comme comportement, mais je n’avais jamais prétendu être plus mature que cela. Intelligence et maturité ne veulent pas dire la même chose, n’en déplaise à ceux qui pensent le contraire. Et puis finalement, j’avais trouvé le courage de le faire. La première fois, j’étais tombée sur son répondeur. Je n’avais pas osé laisser de message, me disant qu’il me rappellerait surement. Mais… il ne l’avait pas fait. Alors j’avais fini par le rappeler, et cette fois-ci, il avait décroché, pour me donner rendez-vous dans un endroit de Forks dont je ne soupçonnais même pas l’existence, alors que la ville était très petite. Je m’étais arrangée avec le boulot pour m’y rendre à l’heure qu’il m’avait indiquée, espérant qu’il serait bien là. Sa voiture était là, elle, quand j’arrivais avec la mienne, et je me garais à côté de lui, avant de sortir de la voiture et d’aller sonner à la porte de ce manoir

C’était assez sinistre comme endroit. Un peu glauque aussi. Mais bon, tant qu’à faire… C’était assez isolé, ce n’était pas plus mal les soirs de pleine lune. La porte fini par s’ouvrir sur Francis qui me faisait face.

-Salut… marmonnai-je, un peu mal à l’aise…

Il fallait quand même être honnête, je me demandais un peu ce que je faisais là. C’est vrai, en fait. Je ne me voyais pas me mettre à attaquer des humains pour les manger, des gens que je voyais tous les jours, croisais dans la rue, saluais... Rien que d’y penser, ça me faisait froid dans le dos. Et en même temps, vu comme j’étais faible, je ne pouvais pas rester seule ici. Il avait fallut y réfléchir, et en même temps, la réflexion n’avait pas duré une éternité… Pourtant, rien qu’en voyant la façon dont la porte fut ouverte à mon arrivée, je savais au fond de moi, sans me l’avouer vraiment, que je ne pourrais pas rester ici éternellement. Un temps dans une vie… Je ne supportais pas qu’on m’entrave dans mes mouvements, et pourtant je n’étais ni rebelle ni sauvage. Donc la solution était simple. J’allais rester, oui, mais pas toute ma vie. Surtout que vu ce que j’étais, « toute ma vie » ça pouvait représenter une durer vraiment longue, bien trop longue. Ca fait beaucoup de choses à accepter d’un coup, je trouve, même si certains ne seraient pas d’accord avec moi. Enfin, j’allais être proche de Shanon, mon amie. C’était un bien et un mal ce clan, car il me séparait de ceux que je ne voulais plus voir – ou qui ne voulaient plus me voir, Ashley en première – et de ceux que j’aurais voulus garder près de moi, comme ma sœur et ma mère…

Je n’avais absolument pas l’impression de le déranger dans sa flemmardise. Entre ses joues mal rasées, son t-shirt pas très net et sa bouteille de vin, on avait l’impression d’avoir affaire à l’alcoolique du coin. Ca ne cadrait pas vraiment avec l’immensité de la demeure. Si c’est lui, le chef de meute, il y a vraiment, mais alors vraiment de quoi s’inquiéter. C’est peut être ça aussi qui me faisait me sentir aussi mal à l’aise et me donnait envie de m’en aller le plus vite possible. Reste calme Kasey, il ne peut rien t’arriver ici. Ou plutôt si, il peut vraiment tout m’arriver. Il me fit signe d’entrer, et c’est presque à contre cœur que je le suivis, me mordillant la lèvre pour ne pas grimacer. Tout dans ce mec m’agaçait. Je l’avais compris immédiatement, dès que je l’avais rencontré. Trop sur de lui, de ce qu’il pouvait offrir, de ses décisions. Il était du genre à croire tout comprendre en un clin d’œil alors qu’il ne comprenait rien du tout. Et pourtant, c’était la seule personne qui avait les idéaux qui se rapprochaient le plus des miens. Du moins le croyais-je pour le moment. Il retira son t-shirt en criant des trucs pas très sympas… à l’intention de je ne sais qui. C’était comme si je n’étais pas là. Je me contentais de croiser les bras sur ma poitrine, détournant la tête. C’est toujours sympa d’être snobée dans ce genre de situation. Comme si j’étais un meuble, il me planta là pour s’engouffrer dans les escaliers. Ne sachant pas quoi faire, je m’assis sur le canapé, attendant… je ne sais quoi, tout en me disant que si dans dix minutes il n’était pas revenu, j’allais m’en aller.

Pourtant, il revint avant et me fit signe de le suivre, ce que je fis. J’avais profité de son absence pour détailler l’endroit, et je devais avouer que le style de déco – si on pouvait appeler ça comme ça – me laissait un peu perplexe, enfin bon… On entra dans un bureau, et il avait toujours sa bouteille à la main. J’avais depuis appris que l’alcool ne pouvait rien nous faire, mais ce n’était pas pour autant que j’étais vraiment enchantée de le voir avec ça. A son invitation, je m’installais en face de lui qui avait prit place à son bureau.

-Alors comme ça tu as fait ton choix hein ? Tu en as mis du temps mais je peux comprendre. Enfin bon… Parlons peu mais parlons bien…

Je hochais la tête, attendant qu’il commence.

-Dankirk est le nom d’un projet gouvernemental dont le but est l’harmonisation entre les Dents Pointus et les Clébards. Il faut que tu saches bien que nous ne sommes pas un secret pour les gouvernements de ce monde. Ils savent que nous existons. Dankirk fait partie d’une organisation puissante et secrète, composé d’humains, de vampires et de lycans qui veulent créer un monde parfait. Moi, je suis la branche armée et violente. Je négocie pas, je traque, je flingue, j’extermine, je tue. On est pas dans le monde des bisounours Ici, à Fork, notre but est simple: on doit pacifier cette ville, quelque soient les moyens utilisés. On doit faire régner l’ordre et la loi par tous les moyens possibles. Tous les moyens sont bons pour parvenir à nos fins… Même les plus abjects et le plus brutaux.

Je notais pour moi-même que Clébards devaient être les lycans et Dents Pointus, les vampires. Mais s’il pensait vraiment que j’allais décapiter qui que ce soit avant le diner, il se trompait lourdement. Je ne dis rien, me contentant simplement d’hocher la tête à nouveau.

-Maintenant, il te faut trouver un métier dans notre clan. Car ici, c’est strict et militaire. Chacun a une compétence qu’il met au service du clan et de ma personne. Voilà un descriptif des métiers que tu peux avoir chez nous. Prends le temps de la réflexion…

Je haussais les sourcils. A part trier des livres, et réfléchir, je ne savais pas faire grand-chose. Ha si, j’étais extrêmement souple et rapide grâce au cheerleading. Agile en plus avec ça. Mais sinon… Je pris le papier et le parcourus rapidement. Ca aurait été drôle que je me lève en disant « bon eh bien, je ne peux vous servir à rien, ciao », mais je ne sais pas pourquoi, je n’avais pas l’impression qu’on ait le même sens de l’humour…

-Maintenant, si tu as des questions, poses les avant que tu ne le puisses plus…

Je relevais les yeux vers lui, et reposais la liste sur son bureau. Je le dis, ou je ne le dis pas… ? Je pris le temps d’inspirer un grand coup avant de commencer :

-Soyons clairs direct, j’ai beau avoir gagné une flopée de médailles en sports d’équipes, je ne suis absolument pas à ranger dans la catégorie « petit soldat ». Je n’ai jamais tenu une arme de ma vie, à par le fusil de chasse de mon grand père, et je doute que ça compte. Par contre, je sais me servir de ma tête, et ça, c’est utile.

Je retins le « surtout quand on voit à quoi ressemble le chef », mais le sous entendu et le regard qui l’accompagnait était assez gros.

-Maintenant, c’est à vous de voir si ça vous va ou non.

Et s'il pensait que son numéro de musclor m'avait fait peur, il se fourrait le doigt dans l'oeil jusqu'au coude.


[HJ : chaque équipe à la chieuse moralisatrice, et ici, c’est bibi ]

J’avais la désagréable sensation d’être un morceau de viande en face de lui. Non parce que, soyons clairs, je doute très sincèrement de faire le poids face à lui ne serait-ce qu’une seconde. Ma vitesse et mon agilité étaient sans doute des forces qu’il fallait prendre en compte, mais pas au point de me laisser l’ombre d’une chance face à cette montagne de muscle. Et s’il était le chef, ici, ce n’était sans doute pas par manque d’esprit, pourtant, j’avais bien envie de le tester, mais pas tout de suite, ça aurait pu être dangereux pour moi. Un jour peut être, quand nous aurions le temps devant nous. Mais ce n’était pas pour autant que je baissais le nez devant lui, bien au contraire. Il m’impressionnait – qui n’aurait pas été impressionné par lui ? – mais pas au point de me faire mettre ma langue dans ma poche et renier mes principes, il ne fallait pas pousser. Je pris le temps de peser le pour et le contre de ce que je voulais avant de lui dire clairement ma façon de penser. Je n’avais jamais eus ma langue dans ma poche – trait commun à toutes les stars du lycée, qu’elles soient des pimbêches ou des gentilles filles – et ce n’était pas à dix neuf ans qu’on allait me faire changer ça. Ma réponse avait fusée, droite, claire, parfaitement audible et compréhensible. Il ne me briserait pas, malgré ce qu’il devait penser. Mon regard ne cilla pas plus que le sien quand il entendit la réponse, et je me doutais bien de ce qu’il pensait. Je n’étais pas prête à tuer, et j’espérais ne jamais l’être. Point barre.

-Tu peux être Négociatrice ou Recruteuse si tu le désires. De toute façon, si tu sais pas te battre ou te servir d’une arme, je t’apprendrais. Je serais pas toujours là pour couvrir ton cul, il faudra te débrouiller seul parfois.

Je retins la répartie cinglante qui aurait voulu que je lui dise clairement que je préférai que de toute façon, il en reste très loin, de mon cul. Je me contentais d’hocher vaguement la tête, même si la perspective d’avoir une arme entre les mains ne me réjouissait que très moyennement. Il fallait bien faire avec. J’étais venue, j’étais là, j’assumais. Recruteuse… Ca j’avais plutôt du mal. Mais négociatrice. Il fallait dire que j’étais plutôt douée pour les relations à conflit, non ? Ma sœur, ma mère, Ashley… Morgan aussi.

-Puisque tu sais te servir de ta tête, uns de ces postes devrait te convenir…. Et puis, oublie pas que t’es un clébard: tes capacités physiques te rendent capable de te débrouiller plus qu’un simple humain.

J’eus une légère grimace, attendant qu’il continue, s’il devait continuer. J’aurais préféré qu’il arrête son espèce d’argot de comptoir qui ne convenait pas vraiment à un chef, sauf celui d’une bande digne de ce film que j’avais vu avec des amis avant de partir de Philadelphie et dont je ne me rappelais pas le nom, où Sylvester Stalone menait une bande, dont Jason Statham. Que des balourds qui me faisaient lever les yeux au ciel. Il finit par achever son petit laïus :

-Je t’apprendrais à te battre. Je t’apprendrais à te servir d’une arme de contact ou d’un flingue, voire d’une mitraillette ! Tu vas devenir une véritablement au féminin. Un jour ça te servira… Pour protéger ton cul ou sauver les fesses de ceux ou celles que tu aimes…

La mine peu convaincue que j’arborai devait bien traduire mon état de penser. Une mitraillette ? On se croirait presque à Bagdad ou Kaboul. Si j’avais su, je me serais engagée dans l’armée quand le recruteur était passé, faisant rêver les deux tiers des mecs du lycée. Personnellement j’avais douté que ce type ait mis un jour les pieds dans les zones de conflit, mais comment savoir ?

-Ok… finis-je par lâcher.

Je me levais, et remontais mon sac sur l’épaule, avant de lui tendre la main, en signe d’accord.

-J’en suis…

Manière comme une autre de me soumettre, même si je savais pas encore vraiment jusqu’où je m’embarquais…