La nuit de la pleine lune était arrivée. Je me sentais nerveux, le regard régulièrement attiré vers le ciel où le grand astre ne tarderait pas à se lever. Je fis mon sac, comme le reste de la meute de Fenris. Chacun préparait ses affaires et s'apprêtait à déserter la résidence pour effectuer la transformation, loin, au milieu des arbres, là où nous nous sentions bien et en harmonie avec la nature.
Je fermai la fermeture éclair de mon sac et le jetai sur mon épaule avant de sortir de la chambre, me passant une main dans les cheveux alors que je me sentais déjà terriblement fiévreux. Mais, avec le temps, c'était une sensation à laquelle on se faisait et qui ne nous empêchait plus de marcher droit dans la rue.


Je grimpai sur ma moto et sans plus me retourner vers le QG de ma meute, je mis le contact et m'éloignai droit en direction de la Push. Avec toutes les merdes qui m'arrivaient ces derniers temps, j'avais manifesté mon envie d'effectuer ma transformation en solitaire, loin d’Éclipse. C'était risqué mais Fenris me l'avait malgré tout accordé. Arrivé au bord de la forêt, j'arrêtai ma moto et en descendit avant de m'enfoncer dans la forêt, danse et feuillue. Les feuilles me caressaient le visage et apaisaient ma douleur ; laquelle ? Celle que j'éprouvais face à ma transformation, ou celle que m'infligeait le poids de la vie ces derniers mois ? Allez savoir.


Aux aguets, je m'avançai, pas après pas, toujours plus profondément dans cette forêt que peu de gens osaient fréquenter par peur de s'y perdre. J'y serais bien ici au moins. Je posai mon sac au sol après de longues minutes de marche et retirai mon tee-shirt, ne souhaitant en aucun cas le déchirer. Je retirai également mon short, restant en boxer dans la forêt. La logique aurait voulu que je me tienne nu parmi les arbres mais dans ces moments-là, je me sentais observé et la transformation me gênait suffisamment pour que je n'y ajoute pas ma nudité.


Et au moment où je m'appuyai contre un arbre, j'entendis un cri ; un cri déchirant où se mêlaient douleur et peur. Je ressentis, pour une raison que j'ignorais, ce cri comme un appel au secours. Mes os me faisaient atrocement mal et je serrai les dents, retenant mes gémissements et mes cris pour le moment même si cela ne durerait pas. Sans plus réfléchir, je m'emparai de mon sac où j'avais mis mon tee-shirt et mon short, avant de courir vers l'endroit d'où le cri m'avait semblé provenir. Je transpirais, j'avais mal, mais la transformation n'opérerait pas avant plusieurs minutes. Je sentis finalement une odeur sucrée, provenant d'une femme. Je me tournai et la vis, plusieurs mètres devant moi, accroupie au sol et une main posée contre le tronc d'un arbre. Je posai mon sac au sol et m'approchai d'elle, jetant un coup d’œil au ciel pour y guetter la lune. Je m'agenouillai alors devant elle, ne sachant pas trop par quoi commencer. Je me contentai d'essuyer mon front d'une main et relever le visage de la jeune femme de l'autre, tentant de lui adresser un sourire qui se voulait réconfortant.


« Essaie de respirer un bon coup... La douleur n'est que... passagère, tout va bien aller ensuite... ! »


Le visage de la jeune femme, apeuré, je dirais même paniqué, me rappelait ma première transformation. Je l'avais effectué seul, personne ne m'avait expliqué comment cela se passerait exactement. J'avais seulement senti quand cette nuit viendrait, cette nuit où ce qui ne tournait pas rond chez moi depuis le bal se manifesterait.

Je détestais que la pleine lune tombe en semaine. A ce moment là, ça me forçait à manquer le boulot, à supporter les remarques des clients, de mon patron. Je n’aimais pas être faible. Même si mon patron le prenait plutôt bien. En général, il me disait que j’étais pâle, semblait fiévreuse, que de devrais aller consulter un médecin, être malade aussi souvent n’était pas normal… Il était gentil, et me laissait partir sans rien dire de plus, sauf me reposer et le tenir au courant si je ne pouvais pas assurer le lendemain. Au moins, quand c’était le weekend, comme quand j’étais à l’école, c’était moins embêtant. Un jour, mes absences mensuelles me feraient être renvoyée, c’était évident. Mais là, en m’asseyant au volant de mon vieux coupé bleu, je m’étais soudain sentie mal. Très mal. C’était encore plus fort que les fois précédentes. Ca me brûlait de partout. J’avais l’impression que j’allais bouillir si ce n’était pas encore le cas. Laborieusement, j’avais fermé la porte, et enclenché le moteur avant de démarrer pour rentrer à Forks. La route, ordinairement rapide, allait me sembler interminable, j’en avais peur. Tout me paraissait lointain, comme flou. Et parfois, une couleur, une lumière me vrillait le crâne, comme une enseigne lumineuse… Ou un panneau de déviation jaune criard.

C’était exactement la couleur qui annonçait qu’il y avait des travaux sur la route directe pour rentrer, alors le panneau m’indiquant de passer par La Push, lui, je n’aurais pas pu le louper. A croire que tout se liguait contre moi pour rentrer. J’avais la trouille. Toutes les sensations que je ressentais tous les mois depuis des années semblaient s’être décuplées. Je n’osais pas y penser, parce que tous les mois, je soupirais de soulagement vu que la transformation était arrivée, mais depuis que je savais, à chaque fois, je craignais que ça soit ce jour là. Et donc j’avais toujours l’impression que c’était pire, mais là, c’était vraiment pire. Pire, au point de ne pas me sentir fermer les yeux, jusqu’à ce qu’un violent bruit de klaxon me fasse sursauter, et je redressai la voiture in extremis avant d’entrer dans un camion énorme, ce qui m’aurait tuée sur le coup. Le cœur battant à mille à l’heure, manquant de sortir de ma poitrine, je finis par m’arrêter sur le bas côté, alors que la transpiration coulait dans mon cou. J’avais la sensation d’étouffer, de ne plus pouvoir respirer. Même une fois arrêtée, et la fenêtre ouverte, j’avais toujours l’impression qu’un poids énorme me compressait la poitrine peu à peu.

N’en pouvant plus, je sortis de la voiture, histoire de faire quelques pas. La route était totalement déserte. Sans savoir pourquoi, j’avançais dans la forêt. J’espérais… Je ne sais pas, trouver un peu de fraicheur, de calme, pour arrêter d’entendre mon sang battre à mes tempes, pour arrêter d’avoir mal. Cette douleur diffuse, qui avait commencé je ne sais plus trop quand, et qui augmentait peu à peu, si bien que je ne savais pas exactement depuis combien de temps j’avais mal partout. Mais au fur et à mesure, la douleur me lançait. Je continuais d’avancer, encore et encore, mais c’était comme si tous mes muscles, et mes os, se tordaient dans tous les sens, sans pourtant craquer, se casser. J’avançais encore et encore, comme un somnambule, un zombie sans but définitif. J’avais peur, mal. Je ne voulais pas y croire, mais ça allait être pour aujourd’hui, pour ce soir. Et je ne savais pas, je ne savais rien de ce qui allait se passer. J’étais mal, tellement mal. Je pensais à ma mère, qui allait se demander où j’étais, anxieuse, sachant parfaitement quel jour nous étions. A ma sœur aussi, j’allais manquer notre rendez-vous par webcam interposées quotidien. Et mon portable qui était resté dans ma voiture. Je ne savais pas où j’étais, où j’allais, tout était trouble, les arbres, déjà nombreux, se démultipliaient.

Et soudain, mon pied s’accrocha dans une pierre, et je tombais à terre. Je sentis mon jean se déchirer au niveau du genou. J’avais chaud dans mon sous pull violet, et en même temps je claquais des dents. Et puis la douleur recommença à se diffuser, encore et encore, plus forte, toujours plus forte. Comme des échos, s’appelant mutuellement d’un bout à l’autre de mon corps. Mon tibia, puis ma mâchoire, avant de repartir à ma hanche… Je serrais les dents, ma voix étouffée par la douleur, jusqu’à ce qu’une pulsation, encore plus forte que les autres, dans mon poignet, ne me fasse littéralement hurler de douleur. Je n’en pouvais plus. On avait menti à ma mère. Je n’allais pas me transformer, j’allais mourir, c’était tout ce que je croyais à cet instant précis. Mourir de douleur, seule, au milieu de la forêt. J’ai peur…

Et puis une ombre se dessina autour de moi. Une ombre différente des autres, plus proche, mouvante… Un homme. Je ne le connaissais pas, et j’avais trop mal pour chercher à comprendre sa présence ici. Je ne veux pas mourir… Il s’approcha de moi, et dans une sorte de demi-conscience, tout en continuant de trembler, je sentis sa main se glisser derrière ma tête et me redresser un peu, alors que sa voix me vrillait les tempes, tout en se voulant rassurante :

-Essaie de respirer un bon coup... La douleur n'est que... passagère, tout va bien aller ensuite... !

Il semblait savoir de quoi il parlait. Etait-il possible qu’il soit… comme moi ? La même anomalie existait-elle en lui ? Je serrai les dents et essayai de faire « oui » de la tête, mais l’effort me fit manquer d’hurler à nouveau. Et puis j’accrochais son regard, incapable de parler, il me sembla que sa silhouette devenait un peu plus solide. J’aurais aimé pouvoir lui parler, lui dire quelque chose, avant que tout ne s’efface. Et un murmure, que je n’arrivais pas à articuler, se mit à raisonner dans ma tête… « Sauve-moi… »

Je ne savais plus quoi faire. La jeune femme semblait terrorisée et je voyais comme le nez au milieu de la figure qu'il s'agissait de sa première transformation, cependant je savais que les lycanthropes n'appartenant pas à la même meute avaient tendance à se battre les nuits de pleine lune... Et si ça tournait mal ?Je voulais être là pour elle, la soutenir, mais en même temps cela risquait de mal se terminer...
La douleur finit par être telle que je ne pus retenir un cri de douleur. C'était trop tard. Quand bien même j'aurais préféré partir et la laisser seule, je n'étais plus en mesure de bouger, mes jambes me faisaient atrocement souffrir, je sentais que mon cœur devenait plus petit, mes os eux s'allongeaient, ma peau s'étirait, mes muscles gonflaient... J'avais mal, trop mal pour être en mesure de prononcer d'autres mots réconfortants pour Kasey. Alors écoutant mon instinct, je me contentai de passer mes bras autour d'elle dans un geste qui se voulait être solidaire. Mes ongles s'allongeaient, au même titre que mes doigts ensanglantés par la douloureuse transformation.


Je voulus hurler à nouveau, mais mes cordes vocales avaient elles aussi entamé leur mutation. Désormais muet, je n'avais d'autre choix que de souffrir en silence durant quelques secondes qui me paraissaient durer une éternité. J'avais un mal de tête insupportable et je n'avais qu'une envie, c'était me taper la tête contre un mur dans l'espoir que cela cesse. Ma vue changeait, me donnant le vertige puisque tantôt bonne et tantôt excellente, un coup je voyais tout flou et la seconde d'après je voyais la vie dans les moindres détails.


Enfin, je pus hurler de nouveau, ma mâchoire s'agrandissant et le museau prenant forme petit à petit. Ma voix ne ressemblait plus tellement à celle d'un homme, elle se rapprochait davantage de la bête, du monstre que j'allais devenir complètement sous peu. Toutes les odeurs se mélangeaient, ma peau se modifiait petit à petit et chaque feuille que je touchais me paraissait avoir une texture différente. Mes yeux verts, qui tiraient désormais davantage vers le jaune, se posèrent sur Kasey dont la transformation s'effectuait aussi et touchait presque à sa fin. Soudainement, je balançai la tête en arrière et mon hurlement de douleur se transforma en appel à la lune, mes oreilles terminèrent leur transformation et les poils recouvrirent rapidement mon corps tout entier. Ma queue balaya le sol d'un geste vif et puissant, et la seconde d'après, ce fut le trou noir.


J'ouvris les yeux, dans un premier temps aveuglé par la lumière vive du soleil. Lorsqu'enfin je réussis à les ouvrir complètement, ce fut pour poser les yeux sur.;. un visage ? féminin ? Inconnu qui plus est. Je retins un cri de surprise et me redressai vivement, me passant une main dans les cheveux et cherchant à retrouver une respiration calme. Je devais faire le point, mais tout me revint très vite. Déjà, j'étais nu. Un regard à la jeune femme me permit de remarquer que c'était aussi son cas. Second point, j'étais au beau milieu de la forêt, probablement celle de la Push. J'étais un lycanthrope et il était donc impossible pour moi d'avoir bu comme un trou au point de ne me souvenir de rien, emmener une fille dont je ne me rappelais pas dans la forêt et lui faire l'amour comme un sauvage en pleine nature pour ensuite m'endormir nu à ses côtés.


Donc, la pleine lune venait de passer. Je me rallongeai avec un soupir, me passant les mains sur le visage. Comme toujours depuis ma transformation, je ne me souvenais pas. Je ne savais pas depuis quand j'étais dehors, je ne savais pas depuis combien de temps nous dormions... Heureusement mes derniers souvenirs me revenaient petit à petit, et je me revoyais courir vers la jeune femme après avoir entendu son cri. Elle avait effectué, cette nuit-là, sa première transformation.
Je me redressai à nouveau et entreprit de parcourir très rapidement la forêt pour retrouver mon sac. Une fois que ce fut fait, je rejoignis à nouveau la jeune femme, enfilai mon boxer de rechange et mon débardeur de la veille. Je relevai les yeux vers Kasey qui dormait toujours, nue au milieu des feuilles et eus un petit sourire amusé en me disant que si elle n'avait pas eu la bouche ouverte et les cheveux en pétard, cela aurait fait une photo très esthétique. Je ne pouvais pas nier l'évidence, elle avait un corps et un visage magnifique, mais il était temps pour moi d'arrêter de me rincer l’œil.


Je m'approchai d'elle avec mon short et, jambe après jambe, je le lui fis remonter jusqu'au bassin afin qu'elle ne soit plus totalement nue. Je posai ensuite délicatement ma veste sur elle afin de cacher sa poitrine aux yeux d'un éventuel passant, parce que oui, les vampires ou Hunters s'amusaient à écumer les bois les lendemains de pleine lune dans l'espoir de trouver un lycanthrope endormi et vulnérable. Je mis une de ses mèches de cheveux sur la veste, au cas où la jeune femme bouge et fasse ainsi glisser la veste, ses cheveux cacheraient toujours un peu.
Là-dessus, je m'étirai et m'assis au pied d'un arbre non loin d'elle, suffisamment loin pour lui laisser un peu d'intimité mais suffisamment proche pour pouvoir surveiller les alentours. Je me laissai alors vaquer à mes pensées, me demandant pour quelle raison nous avions tous les deux survécus. La logique aurait voulu que nous démarrions un combat à mort dès le début de la transformation, au lieu de ça nous étions tous les deux vivants et quand je m'étais réveillé elle était dans mes bras, c'était loin d'être une quelconque position de lutte. Je poussai un profond soupir, jouant avec une marguerite entre mes doigts. Près d'une heure passa ainsi, avant qu'enfin la belle se réveille.


Je levai les yeux vers elle, et voyant qu'elle s'était redressée assez brusquement, je me sentis obligé de lui faire une remarque.


« Tu devrais y aller doucement, mes vêtements sont trop grands pour toi et si je te les ai mis, ce n'est pas pour que tu les perdes. »


Je fixai le sol, observant ensuite ma marguerite, avant de revenir sur Kasey.


« Rassure-toi je ne t'ai rien fait, ce n'est pas mon genre... »


... enfin je crois. Je me mordillai la lèvre inférieure. Je ne voulais pas la brusquer, mais c'était une question qui me trottait dans la tête depuis quasiment une heure et comme je ne me souvenais pas de notre nuit je n'excluais pas toutes les possibilités. Je balayai les alentours du regard avant de me lever et me rapprocher de la jeune femme pour m'accroupir à un mètre d'elle, me rappelant que mon premier réveil n'avait pas été très agréable non plus.


« Comment tu te sens ? »

La douleur… C’est surement la chose dont je me rappelle le mieux. Depuis toujours. Chaque mois, la fièvre et la douleur se mêlent au point que je ne fais plus la différence. Ce n’est pas par mauvaise volonté, c’est juste que je n’ai pas l’habitude d’avoir l’un sans l’autre. Paradoxalement, sauf le détour à l’hôpital quand je suis tombée dans les pommes au lycée, je ne me rappel de rien de gravissime, niveau blessure, qui m’ait valu un trajet aux urgences. Je veux dire, à un âge où tous mes copains d’école – et ma sœur – allaient à l’hôpital pour un bras cassé, une cheville foulée, moi, jamais. Je n’étais pas en reste pourtant, niveau casse cou. En même temps, quand on a mon niveau de danse et de gym… le contraire est impossible. Mais voilà, justement, même avec le cheerleading – et des sauts à sept mètres de haut, j’en ai fais, croyez moi – je ne me suis jamais fais quoi que ce soit. Pareil pour ma « baisse de régime » mensuel, comme disait ma mère, pour ne pas nous inquiéter, même si on sentait bien, avec Alexia, que le sujet était pour le moins tendu. Et voilà, c’était à dix neuf ans que je commençais à comprendre ce qui m’arrivait. Mon corps était totalement détraqué, et ce n’était pas bénin, bien qu’on m’ait toujours dis que si, que j’avais fais des examens qui n’avaient rien révélés, et que je ne m’en rappelais pas parce que j’étais trop petite à l’époque. En fait, c’était dix neuf ans de mensonge. J’étais un danger ambulant.

Une – enfin non deux – rangées de dents assoiffées de sang, de préférence celui des jeunes enfants, comme ça avait été mon cas à l’époque. Et si je n’avais pas crié, surement que je serais morte, et Alexia aussi. Enfin je ne sais pas… Je ne connaissais rien aux loups garous. Jusqu’à il y a quelques mois, semaines même, pour moi, les loups garous n’étaient que des contes pour enfants en mal de sensation forte, comme les vampires d’ailleurs. Et en fait, je faisais partie de ce monde. Et comme si de savoir ne suffisait pas, surtout que j’avais vraiment du mal à y croire sur le coup, même si ça expliquait pas mal de choses, maintenant que j’étais au courant, que je savais ce que cela signifiait, j’avais l’impression que c’était de pire en pire chaque mois et qu’à chaque fois, c’était l’échéance. Sauf que là, c’était maintenant. Enfin, je me disais ça chaque mois, mais c’était la première fois que j’étais aussi mal. D’habitude, ayant appris à vivre avec, j’arrivais plus ou moins à conduire avec la fièvre, la fatigue, la douleur et tout et tout, mais aujourd’hui, je sentais que quelque chose clochait. Quelque chose était totalement différent. C’était plus fort que d’habitude. Plus intense. J’avais l’impression que chaque millimètre carré de ma peau se mettait à me piquer et me bruler, comme des millions de piqûres de moustiques – enfin pour ce que j’en savais, les moustiques ne m’ont jamais vraiment aimé, il y a des gens comme ça… - mais sans la démangeaison, juste la douleur une fois qu’on s’est gratté jusqu’au sang.

Au point que je me retrouvais là, seule, dans une forêt que je connaissais mal, très mal, au point de finir par terre, incapable de marcher plus loin, alors de conduire n’en parlons pas. Mes jambes avaient finies par se dérober sous moi, et j’étais positivement incapable de faire un pas de plus. Pourtant, je n’étais pas seule, non. Et je ne sais pas si ça devait me rassurer, car la personne, le garçon, qui était avec moi était semblait-il dans le même cas que moi, ou du moins connaisseur de la situation. Et d’un côté, ne pas me savoir seule maintenant, c’était quelque chose qui me faisait du bien, mais ne sachant absolument pas ce qui allait se passer par la suite, j’avais peur d’être un danger pour lui. Comment aurais-je pu me douter qu’il était bien plus puissant que moi, bien que nous ayons le même « handicape » dirons-nous ? La douleur se diffusait peu à peu, s’intensifiant, et même si j’avais voulu lui sourire, ou ne serait-ce que tenter l’ébauche d’un sourire, je n’aurais pas pu. C’était comme si mon corps entier était un brasier. Je ne pouvais même plus bouger, ou du moins en avais-je l’impression, ne sentant même pas ou de très loin les spasmes qui de temps à autre, me parcouraient. Pourtant, la fin était proche, car ma vue se brouillait de plus en plus.

Mes doigts me donnaient l’impression de se tasser, enfin non, ce n’était pas une impression. Mon visage, ma tête entière, j’avais l’impression qu’elle allait exploser, et je n’arrivais plus à garder les yeux ouverts. Puis ce fut le trou noir.

Totalement noir. Jusqu’à ce que j’ouvre les yeux. Je me sentais totalement vaseuse, comme le lendemain d’une cuite, une bonne gueule de bois. La cime des arbres au dessus de ma tête me semblait se dédoubler et tournoyer, et je mis quelques instants avant de voir totalement clair. Instants que je mis à profit pour sentir les brulures de mon corps, ou plutôt ne plus les sentir. J’avais même presque froid, contrairement à la veille, ou j’avais l’impression de me consumer à petit feu. Enfin, lentement, avec précaution, en sentant tout de même encore le sang me battre aux tempes, si bien que je ne pus m’empêcher de porter une main à ma tête un instant. Sauf que mon regard se posa sur mes jambes. Et qu’il y avait un petit problème : ce n’était pas mes vêtements, et mes chaussures avaient disparues. De plus, je dus retenir le bout de tissu, une veste, qui couvrait le haut de mon corps. Non mais… qu’est ce qu’il s’était passé ? Un mouvement sur le côté me fit relever la tête vivement. Le garçon était toujours là, et toujours en boxer, mais pas le même me semblait-il. Je déglutis avec difficulté. Est-ce que… ?

-Tu devrais y aller doucement, mes vêtements sont trop grands pour toi et si je te les ai mis, ce n'est pas pour que tu les perdes.

De… quoi… ? Non mais qui c’est ? Et de quoi il parle ? Je devais avoir une drôle de tête en disant ça. Machinalement, je resserrais la veste contre moi, protection bien inutile vu l’était de faiblesse dans lequel j’étais à cet instant précis, mais c’était une réaction que je n’avais pus empêcher.

-Rassure-toi je ne t'ai rien fait, ce n'est pas mon genre...

Bizarrement, c’est plutôt avec ce genre de remarques que je commencerai à m’inquiéter. Et là, je m’inquiète… non parce que si ces vêtements, ce sont ses vêtements, où sont passés les miens ? Et s’il est aussi peu vêtu, et que j’ai été nue devant lui – pensée qui me fait rougir là maintenant tout de suite – alors excusez moi si j’en tire des conclusions hâtives.

-Comment tu te sens ?

… Bonne question… j’ai besoin d’y réfléchir un instant, tout s’embrouillant dans ma tête, mais mon corps semble avoir décidé pour moi – ça devient une habitude là – car j’entends ma propre voix murmurer :

-…je… je ne sais pas…

Et c’était la vérité. J’étais totalement perdue, je ne savais plus où j’en étais. Je commençais à bouillonner… Et je savais que ça allait exploser. Genre… maintenant en fait.

-Mal, je suppose… dis-je avec un rictus.

J’aurais voulu me lever, mais pour ça il aurait fallut enfiler la veste correctement, et donc exposer une partie de mon corps à ce garçon dont je ne connaissais même pas le prénom, et il s’était surement assez rincé l’œil pour aujourd’hui. Je restais donc par terre.

-Qu’e… qu’est ce qui s’est passé ? réussis-je à demander d’une voix étouffée.

Ma voix me paraissait étouffée et lointaine, c’était comme si, malgré le fait que tout soit redevenu normal, mon propre corps ne m’appartenait plus.

Plus je parlais, et plus je voyais la mine de mon interlocutrice se défaire. J'avais, soudainement, comme la vague impression que chaque mot que je disais aggravais ma situation et qu'à chaque fois que j'ouvrais la bouche elle me prenait de plus en plus pour un violeur, un pervers. Bon, je m'étais rincé l’œil, comme tout homme normalement constitué devant une belle femme, mais je n'avais rien fait après tout, même si j'aurais pu...
J'eus un petit sourire amusé, voyant que la jeune femme était tellement perturbée et gênée d'être nue qu'elle n'osait plus bouger.
Je lui avais alors demandé comment elle se sentait. Évidemment qu'elle se sentait mal. Elle n'avait plus aucun souvenir de la nuit qu'elle avait passé, elle avait atrocement souffert la veille au soir et se réveillait nue au beau milieu d'une forêt avec un inconnu qui lui avait enfilé ses vêtements, et donc, par conséquent, qui l'avait vue et de très près. Bah oui, je ne lui avais pas enfilé mon short en regardant la cime des arbres, ça aurait été le meilleur moyen d'avoir la main qui se posait au mauvais endroit.


Je ne pus m'empêcher de constater, une fois à proximité, qu'elle rougissait. Remarque c'était normal, mais j'avais toujours trouvé ça touchant, une femme qui rougissait. Puis c'est avec une voix étouffée et un regard inquiet qu'elle leva les yeux vers moi pour me poser une question embêtant, la question qui dérange, puisque la question à laquelle je n'avais que la moitié de la réponse.


« Qu’e… qu’est ce qui s’est passé ? »


Je pinçai les lèvres et baissai les yeux, avant de m'asseoir à côté d'elle. Savait-on jamais si elle s'évanouissait, elle pourrait au moins tomber sur mes jambes au lieu de s'assommer par terre.


« C'est assez compliqué, en fait... »


Je me passai une main dans les cheveux, avant de m'appuyer sur mes bras, le buste légèrement en arrière.


« Je t'ai entendue hurler hier soir. J'étais venu ici pour effectuer ma transformation tranquillement, et comme je n'étais pas loin je suis venu te rejoindre. Je sais pas trop comment, sûrement à la tête que tu tirais, j'ai compris que c'était ta première vraie pleine lune. »


Je marquai un temps, jetant un petit coup d’œil à la jeune femme pour guetter sa réaction. Dénie ou pas ? Allait-elle accepter sa condition de lycanthrope ? En fait, c'était ça, la véritable question.


« Lors des transformations de pleine lune, on est censés retirer nos vêtements si on y tiens. Je ne suis pas un nudiste n'ayant pas eu le temps d'enlever son boxer, je voulais juste déchirer le moins de tissu possible. Tu comprendras donc que tu as littéralement explosé tes vêtements hier soir et que si je ne te les ai pas remis, c'est parce qu'ils sont en lambeaux. Comme j'ai l'habitude j'avais prévu des vêtements de rechange, et c'est même pas moi qui en profite. »


J'eus un léger sourire avant de m'allonger dans l'herbe, les yeux rivés vers le ciel nuageux, le ciel typiquement Forksois.


« Par contre il y a un truc que je ne comprends pas. En général, les lycanthropes n'appartenant pas à la même meute s'entre-tuent lorsqu'ils se croisent les nuits de pleine lune. On s'est transformés juste à côté, et jusqu'à preuve du contraire, nous sommes tous les deux encore envie. »


Je fronçai les sourcils, baissant les yeux jusqu'à la jeune femme qui semblait traumatisée par les mots que je prononçais. Décidément, il semblait que je m'y prenais très mal. Peut-être que j'aurais du commencer par me présenter ? Soit, il n'est jamais trop tard.


« On m'appelle Morgan. Ma mère me disait que mon prénom signifiait fils de l'océan, c'est plutôt étrange comme nom mais je trouve que ça me va bien... Et toi ? »

Une fois la douleur et les brûlures disparues, il ne reste que le froid et la peur. La peur de ce que j’avais pus faire la nuit dernière. De où j’avais été, et avec qui. Enfin, avec qui, la réponse était plutôt évidente. La personne avec qui j’avais passé la nuit – sans mauvais jeu de mot, même si je n’étais même pas certaine de ce qui avait bien pu advenir entre nous la nuit dernière et que le pire me faisait frissonner encore un peu plus si c’était possible – se tenait juste à côté de moi et avait l’air plutôt attentionné, même si ce qu’il disait et le simple fait qu’il ait pu me voir nue me faisait mourir de honte et me donnait la trouille. En générale, j’étais quelqu’un d’assez confiant, je m’ouvrais facilement aux autres, mais là, j’avais du mal. Rencontrer quelqu’un lors d’une transformation, même si j’essayais de ne pas croire que c’était ce qui était arrivé, n’était pas la meilleure chose qui soit, si ? Je ne connaissais pas assez de lycans pour le savoir. En vérité je n’en connaissais aucun, mais d’après ma mère, il y en avait pas mal ici. Elle s’était beaucoup documentée après ma morsure, dont les cicatrices étaient bien visibles à ma cheville, avec cette luminosité matinale. Je lui faisais confiance pour m’avoir dit la vérité. Pour une fois au moins. D’ailleurs, en parlant de luminosité matinale, quelle heure pouvait-il bien être ? Ma mère et ma sœur devaient se faire un sang d’encre.

Elles devaient bien se douter de ce qui s’était passé, vu la date. Aussi je me doutais bien qu’elles n’appelleraient pas la police, du moins pas tout de suite. Pas avant qu’un meurtre d’une sauvagerie peu commune ait été signalé du moins. Le garçon s’était approché de moi, et me parlait doucement, mais j’avais du mal à lui faire confiance comme ça, du premier coup. Surtout que ce qu’il disait ne me rassurait pas vraiment. Ce n’était pas sa faute, il se justifiait comme il pouvait, mais avoir été inconsciente à côté de lui pendant je ne sais pas combien de temps ne me donnait pas vraiment envie d’être plus avenante que ça, même s’il m’avait rhabillée. Enfin pourquoi serait-il rester s’il avait fait quelque chose de mal ? Il fallait que j’arrête d’essayer de toujours voir le positif dans une situation qui n’en avait pas forcément, comme maintenant par exemple. Je le laissais approcher, ne pouvant pas vraiment faire autrement vu la façon dont j’étais habillée – si habillée pouvait être un qualificatif de la façon dont j’étais. Et c’était vrai, ses vêtements étaient trop grands pour moi, beaucoup trop grands. Mais ce n’était pas grave du moment que j’en portais.

Il était enfin à côté de moi, et quand il m’avait demandé comment j’allais, la réponse avait été plutôt évasive. En même temps, je ne savais même pas quoi répondre honnêtement. Physiquement je n’avais rien, les douleurs avaient disparues, mais psychologiquement, c’était le flou complet. N’étant pourtant pas sure de vouloir la réponse, j’avais quand même réussi à demander ce qui venait de se passer :

-C'est assez compliqué, en fait...

Il s’appuya derrière moi. Un coup de vent me fit frissonner et me décida à enfiler, de manière aussi discrète que possible, la veste qui me recouvrait jusque là, et la refermer jusqu’en haut. Ramenant une jambe sous mon menton, l’autre repliée sur le côté, j’étais toute ouïe.

-Je t'ai entendue hurler hier soir. J'étais venu ici pour effectuer ma transformation tranquillement, et comme je n'étais pas loin je suis venu te rejoindre. Je sais pas trop comment, sûrement à la tête que tu tirais, j'ai compris que c'était ta première vraie pleine lune.

Je baissais les yeux. Ca devait être flagrant que c’était la première fois oui. Comme le nez au milieu de la figure.

-Désolée, marmonnai-je, ne sachant pas quoi dire d’autre.

Il marqua un temps, guettant une autre réaction. Gênée, je remis une mèche de cheveux derrière mon oreille, sans oser relever les yeux vers lui.

-Lors des transformations de pleine lune, on est censés retirer nos vêtements si on y tiens. Je ne suis pas un nudiste n'ayant pas eu le temps d'enlever son boxer, je voulais juste déchirer le moins de tissu possible. Tu comprendras donc que tu as littéralement explosé tes vêtements hier soir et que si je ne te les ai pas remis, c'est parce qu'ils sont en lambeaux. Comme j'ai l'habitude j'avais prévu des vêtements de rechange, et c'est même pas moi qui en profite.

J’eus une nouvelle moue désolée. Je venais visiblement de foutre en l’air tous ses plans avec mes conneries. Enfin ce n’était pas comme si j’avais demandé à être comme ça. Tout en continuant à l’écouter, je me mis à gratter nerveusement, sans vraiment m’en rendre compte, du bout de l’ongle la peau décoloré de la cicatrice de la morsure que j’avais à la cheville. Un chien… Tu parles !

-Par contre il y a un truc que je ne comprends pas. En général, les lycanthropes n'appartenant pas à la même meute s'entre-tuent lorsqu'ils se croisent les nuits de pleine lune. On s'est transformés juste à côté, et jusqu'à preuve du contraire, nous sommes tous les deux encore envie.

Je ne savais pas si je devais hurler, pleurer, crier, m’énerver, être désespérée ou tenter de me suicider. La dernière solution aurait sans doute achevé deux personnes se trouvant chez moi… Pourtant, vu ce qu’il venait de dire, j’étais plutôt contente d’être encore en vie. Mais je ne préférai pas relever le fait qu’il ne sache pas non plus ce qu’on avait bien pu faire. Il n’était pas difficile d’imaginer, vu la différence de corpulence humaine, qui aurait été proportionnelle à l’évolution, qui ne nous deux en serait sorti vivant.

-On m'appelle Morgan. Ma mère me disait que mon prénom signifiait fils de l'océan, c'est plutôt étrange comme nom mais je trouve que ça me va bien... Et toi ?

Je sentais à peine mes yeux s’embuer de larme alors que je trouvais enfin le moyen de relever la tête, alors que la peau de ma cheville avait prit une charmante teinte brique sur ma peau bronzée.

-Je m’appelle Kasey. Et oui, c’était ma première transformation, même si ça fait longtemps que je m’y attends.

Toute ma vie en fait, même si je ne savais que depuis quelques mois.

-... je ne suis même pas sure de vouloir savoir ce qui c'est passé entre nous cette nuit vu qu'on ne s'est pas entretués ...

Je haussais les épaules d’un air ennuyé. Parce que je ne me rappelais vraiment pas comment j’étais arrivée là. Je devais être dans un sacré état de choc pour ne pas poser plus de questions. Elles viendraient plus tard. Quand j’aurais retrouvé un semblant de calme intérieur, au lieu de cet espèce de vide qui m’habitait.

La jeune femme m'apparut comme complètement chamboulée, ce qui au fond, ne m'étonnait pas vraiment. Je lui avais expliqué ce qu'il s'était passé et pendant toutes mes explications, elle avait semblé honteuse, gênée, voire triste... Sauf lorsque je lui avais dit que je ne savais pas exactement, voire pas du tout, ce que nous avions fait dans la nuit. Pour ce que je voyais de son visage, il me sembla que sa mine changea du tout au tout, elle paraissait soudainement... énervée ? Non, ce n'était pas le terme exact. Elle semblait frustrée, comme si elle se retenait de taper par terre. Je ne fis aucun autre commentaire, jugeant que me présenter était peut-être plus judicieux, comme elle avait les nerfs en pelote ; et Dieu seul sait à quel point je la comprenais.


« Je m’appelle Kasey. Et oui, c’était ma première transformation, même si ça fait longtemps que je m’y attends. »


Elle était donc une lycanthrope pure ? C'est ce que je pensais, jusqu'à ce que je me fus redressé et que j'eus aperçu la zone de sa cheville qu'elle grattait depuis cinq minutes : la morsure qu'elle avait subie. Elle avait donc été mordue jeune... Très jeune, éventuellement ? A cet instant mes sentiments se mélangeaient. Ma transformation avait opéré immédiatement, moi ; qu'est-ce que cela faisait, d'attendre le jour où cette transformation viendrait ?


« ... je ne suis même pas sure de vouloir savoir ce qui c'est passé entre nous cette nuit vu qu'on ne s'est pas entretués ... »


J'eus un léger rire, avant de finalement y réfléchir plus sérieusement. A la limite, si on l'avait fait, on ne s'en souvenait même pas. Ce qui risquait d'être plus emmerdant, c'était que je n'y connaissais rien... Les lycans avaient un corps totalement différent des humains. Supportaient-ils les moyens de contraception basiques ? Il ne restait qu'à espérer que oui, si tant est que nous ayons réagi comme des bêtes en mal d'amour cette nuit-là.


« Je t'avoue que je n'ai pas exclu cette option non plus, et c'qui est dérangeant c'est qu'elle me parait être la plus probable. J'espère que tu ne m'en voudras pas de te demander de faire un saut à la pharmacie en rentrant chez toi... »


Je levai les yeux vers la cime des arbres, un léger sourire au bord des lèvres en pensant à Kaitlyn.


« Je suis déjà papa et ma fille n'a pas émis le désir de devenir grande soeur... Et puis changer les couches c'est pas trop mon truc non plus... Enfin bref ! »


Mes paroles étaient sûrement en train de faire un peu peur à Kasey. Mais après tout, la pilule du lendemain et hop le problème devrait être réglé... Logiquement... Je reposai les yeux sur elle, retrouvant mon sérieux.


« Mon portable est dans la poche de ma veste, s'il te plaît... »


La jeune femme ne se fit pas prier et me passa mon téléphone. Je me redressai, assis en tailleur et envoyai un texto à Emma. Quelques secondes après, je reçus la réponse. Ouf, elle s'était réveillée avant nous. Aïe, le fait qu'on ait dormi plus longtemps qu'elle accentuait la thèse d'une éventuelle sauvagerie sexuelle entre Kasey et moi cette nuit-là. Je ne partageai pas cette pensée, bloquant juste mon portable avant de me relever.


« Etant donné que tu n'as pas manifesté ton désir de récupérer des vêtements à proximité, j'en conclue que tu n'en as pas ailleurs que chez toi. Ne bouge pas, je reviens d'ici quelques minutes, je n'habite pas très loin et une fille de chez moi accepte de te prêter des vêtements. »


Je marquai un temps d'arrêt, songeur.


« Par contre c'est une ex, donc je ne te garantis pas qu'elle t'ait sorti ses plus beaux vêtements. Si tu as le moindre problème, hurle. »


Ce dernier conseil pouvait paraître étrange pour la jeune femme, mais je savais que les allergiques des lycanthropes profitaient des lendemains et surlendemains de pleine lune pour espérer trouver des lycans endormis et vulnérables. En quelques secondes, j'avais disparu du champ de vision de Kasey grâce à la vitesse des lycanthropes.
Arrivé dans la villa, j'entrai doucement ; personne. Je me glissai donc à l'étage et rejoignis la chambre d'Emma où elle avait disposé une robe d'un bleu pâle et des sous-vêtements blancs sur le lit. Mouais, elle aurait pu trouver mieux, mais visiblement mettre Kasey en valeur n'était pas son but principal. Au moins elle ne lui avait pas sorti un vieux jean baggy difforme et un tee-shirt XXL trouvé dans jenesaisquel placard. Je pris les affaires sur le bras, puis me surpris à penser aux chaussures. Je pris des tongues blanches appartenant à Emma ; bon elle les mettait souvent mais pour le moment elle ne les avait pas aux pieds, et Kasey n'allait pas se trimbaler pieds nus.


Là-dessus, je revins, toujours en courant aussi vite, auprès de Kasey qui n'avait pas bougé d'un pouce. Je lui tendis les vêtements avant de lui tourner le dos, le temps qu'elle se change. Au moins, j'aurais fini de me balader en boxer, ça en deviendrait presque gênant. Quand je me disais que Kasey ne m'avait encore vu qu'en boxer, c'était tout de même perturbant. En général, on voit le short avant de voir le boxer, pas l'inverse.


« Je ne sais rien de tes mensurations par contre, j'espère au moins que ça va t'aller. »

Vive la pleine lune… Et encore, c’était ma première. Si toutes se passaient ainsi, j’allais craquer avant d’avoir vingt ans. C’était impossible de vivre comme ça. Si, on pouvait vraiment ? J’en doutais. Comment faisaient les autres lycans pour l’accepter ? Pour le moment, j’avais envie d’en finir tout de suite. J’étais dans une phase de dépression qui allait me faire toucher le fond c’était certain. D’ailleurs, si ce garçon n’avait pas été là, je l’aurais peut être fait. Ca fait dix sept ans que je suis un monstre, et maintenant, à l’âge où je devrais être insouciante, faire la fête, je me retrouve à gérer une dégénérescence génétique à origine mythologique. Super… - oui, même au plus bas, j’arrive à ressortir des mots savants, bravo Kasey, ça va t’aider. Mais le pire était sans doute de ne pas me rappeler de quoi que ce soit, entre hier soir vingt-heure trente cinq – j’avais quitté ma voiture à vingt heure vingt environ, et il s’était déroulé environ quinze minutes entre ce moment et celui où j’avais perdu connaissance – et ce matin… Quelle heure pouvait-il bien être ? Je n’en avais pas la moindre idée. Et même si j’aurais voulu le savoir, j’avais un peu peur de la réponse possible, surtout avec ce mec. Il était certes plutôt mignon, mais il ne fallait pas abuser non plus. Je ne suis pas une « Marie couche toi là » sous ma forme humaine, alors j’espère que ma forme louve est à peu près pareil. Non mais qu’est ce que je raconte ?

J’étais surtout morte de peur. Et c’est derrière l’ironie que je la cache en général. C’est ça le plus perturbant. Je deviens odieuse quand j’ai peur, en utilisant des sarcasmes plutôt blessants. Heureusement pour lui, Morgan n’en avait pas encore fait les frais. Ce n’était pas vraiment banal de se rencontrer dans ce genre de situation. Et je ne savais pas vraiment comment réagir. Sauf que lui semblait très bien savoir comment gérer ça, ce qui n’était absolument pas mon cas. Il n’avait jamais eus peur ? On ne dirait pas. Ou alors il cachait vraiment bien ses sentiments. Je le regardais, le détaillais un peu. Plutôt mignon, même si ce n’était pas vraiment mon style de garçon. Enfin, je n’avais pas de style préféré, mais il avait l’air de celui qui plait à tout le monde en un clin d’œil, pas vraiment de quoi donner confiance, et j’ai assez de problèmes pour avoir confiance en moi sans en plus devoir me demander si je peux avoir confiance en un garçon. A part ça, il était plutôt gentil. Attentionné, et il semblait comprendre par quoi je passais. Même si ça fait peur quand même. Je l’écoutais sagement essayer de m’expliquer ce que je trouvais inexplicable et incompréhensible, me contentant d’hocher la tête de temps à autre, tout en essayant de rester calme. Il fallait que j’arrête de m’énerver sur cette cicatrice, la cause de tous mes maux, ou j’allais finir par avoir une magnifique plaie. Elle se refermerait vite, non ? Je finis par lui avouer mes craintes, en me demandant si j’avais bien fais.

- Je t'avoue que je n'ai pas exclu cette option non plus, et c'qui est dérangeant c'est qu'elle me parait être la plus probable. J'espère que tu ne m'en voudras pas de te demander de faire un saut à la pharmacie en rentrant chez toi...

Je fronçais les sourcils. Encore ailleurs à cause de tout ce qui venait de se passer, je ne comprenais pas où il voulait en venir.

-Je suis déjà papa et ma fille n'a pas émis le désir de devenir grande sœur... Et puis, changer les couches c'est pas trop mon truc non plus... Enfin bref !

De gêné, mon regard se fit étonné, avant de devenir choqué, comprenant ce qu’il insinuait. Il ne voulait pas dire que… ? J’étouffais un cri mi outré, mi surprit. Oh non… Note pour moi-même, aller dans le planning familiale le plus proche, et faire un bilan sanguin complet, même si vu la température de mon corps, toute bactérie étrangère avait dut être éliminée depuis longtemps. Une seule pilule suffirait ? Ou fallait-il que j’en prenne deux ? Parce que me retrouver enceinte n’était vraiment pas dans mes objectifs à court terme.

-Mon portable est dans la poche de ma veste, s'il te plaît...

Je mis quinze bonnes secondes à comprendre où il voulait en venir, avant de me mettre à tâtonner les poches pour retrouver l’appareil et le lui tendre. Vu ce qu’il venait de me dire, j’avais plutôt envie de le lui faire bouffer. Je n’avais rien demandé moi !

-Etant donné que tu n'as pas manifesté ton désir de récupérer des vêtements à proximité, j'en conclue que tu n'en as pas ailleurs que chez toi. Ne bouge pas, je reviens d'ici quelques minutes, je n'habite pas très loin et une fille de chez moi accepte de te prêter des vêtements.

S’il pouvait arrêter de m’analyser deux minutes… Ca serait gentil. Je me contentais de serrer les dents en hochant la tête, alors qu’il continuait :

-Par contre c'est une ex, donc je ne te garantis pas qu'elle t'ait sorti ses plus beaux vêtements. Si tu as le moindre problème, hurle.

-Je suis un lycan… Je ne vois pas vraiment ce que j’ai à craindre, répondis-je avec amertume.

A cet instant précis, j’en voulais à la terre entière, à commencer par Morgan, parce qu’il était là, manque de chance pour lui. Je détestais cette période, je n’étais vraiment pas moi-même. Et avec son ex, j’avais l’impression de m’être encore fait une amie… Merveilleux. Deux secondes plus tard, il avait disparut. Je m’adossais à l’arbre, les jambes repliées, menton sur les genoux, et bras autour, en essayant de réfléchir. Mais je n’arrivais à rien. Et une larme, la première, coula le long de ma joue. Je me suis fais voler ma vie à dix-huit mois, et je ne peux rien reprocher à personne, vu que je ne sais même pas qui m’a mordue. Quelqu’un que Morgan connait peut être ? Le monde des lycans m’est totalement étranger. Cette première larme créa un chemin pour toutes les autres. Larmes de peur et d’amertume. De rancœur aussi. Je me mis à trembler. Mais pas de froid cette fois.

Morgan revint rapidement, et je m’essuyai les larmes du plat de la main. Enfin il devait avoir l’habitude de voir les filles pleurer, je ne ferai pas longtemps illusion, il ne fallait pas rêver.

-Je ne sais rien de tes mensurations par contre, j'espère au moins que ça va t'aller.

Je retins ma langue de vipère de lui dire qu’il avait pourtant l’air du genre de garçon qui juge les mensurations d’une fille au premier regard, et le remerciais d’un signe de tête avec une ébauche de sourire assez difficilement sorti, alors qu’il se retournait. Rapidement, j’enfilais les vêtements. Ils étaient assez anciens, pas de ceux qu’on met tous les jours, mais ce n’était pas très important, je n’avais qu’à les porter jusqu’à chez moi où je remettrai mes affaires.

Revenant vers Morgan, je lui tapotai l’épaule pour qu’il se retourne.

-Voilà tes vêtements.

Je lui tendis le short et la veste, avant de reculer d’un pas pour qu’il puisse s’habiller.

-Désolée de te causer tous ces problèmes, dis-je en baissant les yeux.

Du bout de mon pied nu, je dessinai des formes abstraites dans le sol, distraitement, pour cacher ma gêne.

-J’ai pas vraiment choisi d’être comme ça.

Je fixai la cicatrice une seconde, avant de détourner la tête. Ce n’était pas le moment de faire une complainte mélodramatique.

Lorsque Kasey m'avait fait remarquer qu'elle était un lycan et qu'elle ne voyait pas ce qu'elle avait vraiment à craindre, je ne pus m'empêcher de me faire du soucis pour elle même si je ne m'absentais pas longtemps. C'était pas compliqué pourtant... Elle venait d'effectuer sa première transformation, était en état de choc. Elle découvrait à peine vraiment ses capacités, qui se manifestaient suite à la première transformation. Elle ne contrôlait pas forcément, et puis ce n'était pas compliqué ; il suffisait qu'elle tombe sur plus fort qu'elle, et à cet instant précis, ce ne serait pas bien difficile de trouver. Un vampire qui trainait, un modificateur ou simplement un Hunter planqué en haut d'un arbre qui attendait patiemment le moment où elle serait la plus vulnérable pour la prendre par surprise.


Mais une fois de retour, Kasey n'avait pas bougé, fort heureusement. Elle pleurait, juste. En soi c'était déjà suffisant pour me montrer qu'elle n'aimait pas ce qu'elle était, ce que moi j'avais du mal à comprendre puisque j'aimais ma condition de lycanthrope, j'aimais la puissance que ma nature me conférait. Je lui tendis les affaires qu'Emma lui prêtait avant de me retourner pour la laisser se changer. Quelques secondes après, elle me tapota sur l'épaule.


« Voilà tes vêtements. »


Je me retournai et pris les vêtements que j'avais prévus pour me changer, enfiler rapidement mon short et ma veste, avant de relever les yeux vers Kasey, surpris par ses excuses. Elle semblait gênée, dessinant des formes abstraites dans l'herbe avec la pointe des orteils. A cet instant précis, il était plus que flagrant qu'elle ne s'aimait pas telle qu'elle était.


« Tu ne me causes aucun problème. Si c'était le cas je n'aurais pas cherché à comprendre et je serais déjà parti. Ça me fait plaisir de pouvoir te soutenir, au contraire. Ma créatrice s'est enfuie après m'avoir griffé, la première nuit de pleine lune a été de loin la plus horrible, alors je me dis que t'apporter un peu de soutien n'est pas une mauvaise chose et je n'ai pas mauvaise conscience, on y trouve notre compte tous les deux. Enfin, je crois. »


Là-dessus je fourrai les mains dans les poches de ma veste avant de m'approcher un peu de Kasey, cherchant son regard. Je me creusais les méninges cherchant une raison pour laquelle elle n'aimait pas la personne qu'elle était désormais mais rien ne me venait.


« Pourquoi tu n'aimes pas ce que tu es ? »


Je me redressai alors pour me tenir droit, jetant un coup d'oeil à la cheville de la jeune femme.


« Comme tu l'as dit toi-même, tu ne vois pas ce que tu as à craindre en tant que lycan. Ça ne te rassure pas de savoir que tu es immortelle et que les chances de te faire égorger par un vampire à tous les coins de rue sont infimes ? »


Un détail m'interloqua. Un détail totalement hors sujet : la robe commençait un peu à se découdre au niveau du jupon. Je me mordis un peu la lèvre inférieure avant de désigner le fil qui pendouillait d'un signe de la tête.


« Pour les vêtements prend ton temps pour les ramener, Emma ne les a jamais portés... Cela dit je comprendrais parfaitement que tu sois pressée de t'en débarrasser. »


J'eus un léger sourire amusé à mon commentaire : il était évident que Kasey n'était pas le genre de fille qui portait de telles robes, elle aurait probablement de loin préféré un joli jean et un top sympa, original, beau et tape-à-l'oeil à la fois.
Pour en revenir à sa condition de lycanthrope, un détail me chiffonnait. Elle n'avait en aucun cas mentionné son créateur ou sa créatrice. D'ailleurs, elle avait l'air de tellement se détester depuis qu'elle s'était réveillée, que si elle avait su qui l'avait rendue comme ça elle se serait probablement baladé aux trois quarts nue à travers tout Forks juste pour aller faire la peau à celui qui était responsable de ses transformations pour les nuits de pleine lune. Je la dévisageai un instant, avant de balayer les alentours du regard pour vérifier qu'il ne s'y trouvait rien de suspect.


« Ton créateur n'est pas là pour te guider ? »

Il fallait que j’accepte l’idée que ça y était. J’avais fais ma première transformation, et j’étais désormais un lycan à part entière, avec tout ce que cela implique. Les petites améliorations physiques sous ma forme humaine, et la nuit de folie hebdomadaire. Folie qui risquait de mettre en danger pas mal de monde si j’étais trop proche d’une quelconque forme humaine non magique – je n’ai pas de meilleur terme là maintenant tout de suite -, autrement dit un humain lambda, par exemple ma mère ou ma sœur pour ne citer qu’elles. Je comprenais mieux pourquoi la densité de population surnaturelle était la plus importante du pays dans le coin, les forêts étaient assez grandes et assez denses pour y dissimuler notre petite particularité, et aussi chasser autre chose que les humains, parce que je ne suis pas stupide, je sais très bien ce que ça veut dire être un loup garou, et ce qu’on mange, ce sont des humains, merci bien. Mais d’après ce que j’avais entendu dire, entre les vampires et les loups garous, dans le coin, il ne faisait pas bon ne pas avoir été mordu par l’un ou par l’autre… Je craignais le pire pour ma mère alors. Il fallait qu’elle quitte la ville, qu’elle s’en aille, loin d’ici. Un appartement à Seattle, si elle voulait rester proche, mais pas trop proche non plus. Elle ne comprendrait pas, et ne voudrait pas me laisser, vu la « crise » comme elle disait, que j’étais entrain de traverser, mais cette crise était justement ce qui me rendait dangereuse, pour elle, pour Lex, pour tout le monde.

Peut être qu’une fois une bonne douche passée, je me sentirais mieux, reposée, plus calme. Mais je n’en étais pour le moment pas vraiment certaine. Quand on touche le fond, on a l’impression qu’on ne pourra jamais remonter la pente, et là c’était mon fond à moi. Enfin pour le moment, parce que le trou ne demande qu’à se creuser encore… Malgré les paroles de Morgan qui se voulaient rassurantes, je ne faisais qu’avoir de plus en plus peur. Peur de ce que je savais et qui maintenant devenait une cruelle réalité, et peur de ce que je ne savais pas encore et qui allait devenir parfaitement catastrophique. C’est plutôt difficile à assimiler tant de changements dans une vie quand à cet âge là le seul souci aurait dut être le règlement de mon année universitaire. J’avais envie de partir en courant, loin, loin… L’immortalité ? A quoi bon ? Surtout si on a rien pour la vivre ni personne avec qui la partager. Voir mourir tous les gens avec qui je tissais un lien quelconque n’était pas vraiment dans mes préférences. A 19 ans, comment peut-on déjà penser à la mort comme ça ? Tout simplement en ayant perdu son père il y a peu. On se rend compte de ce qui importe, et de ce qui importe moins. Alors voir ma mère et ma sœur vieillir alors que je garderai éternellement ce visage de jeune fille frêle et fragile… Ca faisait froid dans le dos.

Morgan m’avait ramené les affaires de son ex, et que ça m’aille ou pas n’était pas ce qui m’inquiétait le plus. Une fois rhabillée, et lui aussi, je ne pus m’empêcher de lui faire des excuses. Ca sembla plutôt le surprendre :

-Tu ne me causes aucun problème. Si c'était le cas je n'aurais pas cherché à comprendre et je serais déjà parti. Ça me fait plaisir de pouvoir te soutenir, au contraire. Ma créatrice s'est enfuie après m'avoir griffé, la première nuit de pleine lune a été de loin la plus horrible, alors je me dis que t'apporter un peu de soutien n'est pas une mauvaise chose et je n'ai pas mauvaise conscience, on y trouve notre compte tous les deux. Enfin, je crois.

Je ne sus rien faire d’autre qu’un petit sourire, en guise de remerciement. Un tel désintérêt me surprenait presque.

-Pourquoi tu n'aimes pas ce que tu es ?

Je relevais les yeux vers lui, le foudroyant de mes yeux verts, sans répondre immédiatement tellement j’étais surprise. Il plaisantait ? Il aimait ça lui, être totalement instable ? Etre un danger public ?

-Comme tu l'as dit toi-même, tu ne vois pas ce que tu as à craindre en tant que lycan. Ça ne te rassure pas de savoir que tu es immortelle et que les chances de te faire égorger par un vampire à tous les coins de rue sont infimes ?

Je faillis me demander s’il connaissait le sens du terme « ironie », mais une nouvelle fois, je retins ma langue et me contentais de le regarder avec condescendance. C’était fou… Pas plus qu’il ne comprenne pas que je n’aime pas ça, je ne comprenais pas qu’il aime. Me sortant de mes réflexions il me désigna un bout de la robe :

-Pour les vêtements prend ton temps pour les ramener, Emma ne les a jamais portés... Cela dit je comprendrais parfaitement que tu sois pressée de t'en débarrasser.

D’un geste ferme, je pris le fil et le cassais, pour qu’il ne continue pas à se découdre. Un coup de machine à coudre et il n’y paraitrait plus rien. Et puis Morgan revint à la discussion principale.

-Ton créateur n'est pas là pour te guider ?

Je soupirais pour cacher mon agacement. Il est de la police. Me disant qu’il était plutôt dangereux pour nos rapports jusque là cordiaux que je réponde immédiatement, je lui désignais un chemin dans la forêt :

-Ma voiture est par là… Enfin je crois.

Je commençais à marcher, Morgan juste à côté de moi. Pied nue sur le sol de la forêt, ce n’était pas ce qu’il y avait de mieux, mais j’adorais être pied nue, alors à part, une grimace de temps à autre, c’était comme si de rien n’était. Je réussis à prendre la parole à nouveau une fois calmée.

-En fait, mon « créateur » comme tu dis, est plutôt du genre à mordre un bébé de dix-huit mois sous sa forme loup et à disparaitre dans la nature en laissant le cadeau aux parents.

Je désignais ma cheville d’un mouvement du menton.

-Ce qui me gêne le plus, c’est d’être un danger ambulant, de mettre mes proches en péril. C’est pas facile à expliquer quand on est la seule comme ça dans son entourage. A vrai dire tu es le premier que je rencontre vraiment. On ne peut pas dire que celui ou celle qui ait fait ça ait laissé sa carte de visite à mes parents.

Je croisais les bras en continuant à marcher un peu. Il y avait tellement et en même temps si peu à dire à propos de mon histoire de transformation…

« Ma voiture est par là… Enfin je crois. »


Je ne commentai pas, la suivant simplement. Elle n'avait pas répondu à mes questions et son ton me semblait sec, elle était amère bien que tentant de le cacher. C'était sans doute pour ça qu'elle avait esquivé les réponses que j'attendais, au moins pour un petit moment histoire de pouvoir contrôler ses émotions. Songeur, je repensais à la manière dont j'avais moi-même réagi à mon réveil au bord de la rivière, juste avant ma première transformation. A mon réveil j'avais senti que j'étais différent, j'en avais eu la confirmation avec mes sens plus développés, avec mon corps qui me paraissait changé ; et qui l'était. J'étais tellement nerveux et énervé par ce que Juliet m'avait fait, sans vraiment savoir ce que j'étais, qu'une fois de retour chez moi j'avais failli mettre un coup de tête à ma propre mère pour la faire taire.... Ce n'était probablement pas le même genre que Kasey, mais j'imaginais assez bien la frustration qu'elle pouvait ressentir. Elle se voyait comme un monstre actuellement, j'étais aussi passé par là mais je me disais qu'avec le temps elle accepterait sûrement et finirait par s'aimer telle qu'elle était.


« En fait, mon « créateur » comme tu dis, est plutôt du genre à mordre un bébé de dix-huit mois sous sa forme loup et à disparaitre dans la nature en laissant le cadeau aux parents. »


Les paroles de Kasey me tirèrent de mes pensées alors que je baissai les yeux vers sa cheville pour y voir à nouveau la marque, la cicatrice qu'elle avait si frénétiquement gratté quelques minutes auparavant.


« Ce qui me gêne le plus, c’est d’être un danger ambulant, de mettre mes proches en péril. C’est pas facile à expliquer quand on est la seule comme ça dans son entourage. A vrai dire tu es le premier que je rencontre vraiment. On ne peut pas dire que celui ou celle qui ait fait ça ait laissé sa carte de visite à mes parents. »


Je réfléchis un moment à ses paroles, fourrant les mains dans les poches et enjambant ci et là quelques obstacles qui se dressaient sur ma route tandis que lapins et oiseaux s'enfuyaient à notre approche. Nous étions des lycanthropes, des prédateurs, et tous les animaux le sentaient. Je relevai les yeux vers la cime des arbres, songeant à ma fille, Kaitlyn, qui était chaque mois malade pendant trois jours en présence de la pleine lune, en préparation à ses futures transformations de puissante lycanthrope.


« En quoi est-ce que tu es un danger ambulant ? Je veux dire, en dehors des nuits de pleine lune tu te contrôles très bien, il te suffit de t'éloigner suffisamment de tes proches pour ne pas les menacer, c'est juste une habitude à prendre. En étant lycanthrope tu les protèges plus que tu ne les menaces, les humains sont en ce moment menacés par tout et n'importe quoi plus que jamais. Les lycanthropes sont les créatures les plus puissantes que je connaisse, à mon avis tu dissuades bien des vampires de s'en prendre à ton entourage sans vraiment t'en rendre compte. »


Sur ces mots je reposai les yeux sur elle en lui adressant un léger sourire.


« Évidemment tu manques d'expérience, c'est une évidence. Avec le temps ton sixième sens va s'aiguiser et tu ressentiras plus facilement les pressentiments... Personnellement je sens quand mes proches sont en danger et ça peut s'avérer très utile. Tu as tort de prendre ta transformation comme une malédiction, tout dépend de ce que tu fais de ce que la lune t'offre. Si tu te transformes régulièrement tu finiras par ne presque plus sentir la douleur en dehors de la pleine lune. »


Je me tus alors, reposant mon regard sur les arbres devant moi. Et encore... La pleine lune, pourquoi faisait-elle si mal ? Parce que nous sommes nerveux quand elle est là, nos muscles se contractent automatiquement, on se fait presque suffoquer nous-même avant même que la transformation n'ait commencé, ce qui la rend d'autant plus difficile. Mais c'est inévitable... En dehors de la pleine lune, tout était bien plus simple. Je jetai un coup d’œil à mon portable pour regarder l'heure avant de reposer les yeux sur Kasey.


« Tu ne devrais pas rester seule Kasey, tu pourrais y arriver seule mais sans l'aide d'un autre lycanthrope ça risque d'être très difficile au début. Ton créateur a fait du très mauvais boulot si tu veux mon avis. »

Morgan n’était pas méchant, loin de là. Il était même plutôt sympa. Aller me chercher des fringues chez son ex n’était pas la première chose qu’on attendait d’un garçon qu’on vient à peine de rencontrer, même dans ce genre de circonstances. Il était « comme moi », pour cette petite particularité qui me foutait la trouille. Sauf qu’il semblait presque être vraiment très amusé par ce qu’il était. Je ne savais pas si je devais trouver ça flippant ou rassurant… Il avait un certain recule que je n’avais pas encore, et que je redoutais d’avoir un jour. Pour ce qui était de la panique, mon calme habituel et mon esprit rationnel me poussait à rester calme, du moins en apparence, parce qu’intérieurement, je bouillais. Je n’avais jamais eus le choix. Lui non plus apparemment. Comment pouvait-il ne pas être en colère ? Il me posait pas mal de questions, et si je ne lui en posais pas, ce n’était pas par manque d’intérêt, bien au contraire, mais je ne voulais pas paraitre trop curieuse. J’avais déjà été un poids la nuit dernière, et surtout ce matin au réveil, alors il ne fallait pas en rajouter. Mais mes lèvres brulaient de lui poser un tas de questions, et mon esprit curieux en trouvait toujours d’autres à poser en plus. Et d’un autre côté, la nuit qui venait de se passer, et cette première transformation m’avait assez perturbée pour que je sois plus en colère qu’autre chose, et que celle-ci m’empêchait de réfléchir correctement, ce qui était vraiment agaçant.

On avait prit le chemin de ma voiture, du moins je crois, approximativement, que c’était ça, mais je n’en étais pas certaine, tout en continuant de discuter. La robe était un peu trop large pour moi au niveau des hanches, mais ce n’était pas dérangeant. Etre pieds nus m’embêtait déjà un peu plus, étant donné que marcher dans la forêt n’était pas sans risquer de s’écorcher. J’arrivais pourtant à continuer d’avancer sans trop de peines. Ce n’était vraiment pas le plus dérangeant pour le moment. J’étais attentive à tout ce que Morgan me disait, cherchant des réponses dans ce qu’il me racontait, bien que je ne savais pas vraiment si tout devait être interprété comme la première interprétation que j’en avais. C’était assez bizarre. Je n’aimais pas être en colère parce que j’avais toujours du mal à réfléchir, et la réflexion c’était l’un de mes atouts. Ces transformations que j’avais crains m’avaient enlevé la possibilité de faire des études comme j’aurais voulu, si en plus je me mettais en colère pour un oui ou pour un non, c’était fini. J’essayais tant bien que mal – plutôt mal en fait – de me calmer, de ne pas paraitre sèche, désabusée… Mais au fond c’était tout à fait l’état d’esprit dans lequel je me trouvais, alors autant laisser couler. Pour une fois… Ce n’était pas souvent que j’arrêtais d’être raisonnable… Morgan m’écoutait raconter, dans des phrases ponctuées d’ironie mordante, un peu trop sans doute, la raison pour laquelle j’étais moi aussi devenu un loup garou.

Je lui expliquais mes craintes, mes peurs, et il m’écouta sans rien dire. Il était la première personne à qui je pouvais parler calmement de ce dont j’avais peur sans qu’on me dise de me taire parce qu’on ne voulait pas connaitre mon mauvais côté – ma mère – ou qu’on soit soudain gêné et mal à l’aise – ma sœur. Parfois j’aurais aimé savoir comment mon père aurait réagit, lui…

-En quoi est-ce que tu es un danger ambulant ? Je veux dire, en dehors des nuits de pleine lune tu te contrôles très bien, il te suffit de t'éloigner suffisamment de tes proches pour ne pas les menacer, c'est juste une habitude à prendre. En étant lycanthrope tu les protèges plus que tu ne les menaces, les humains sont en ce moment menacés par tout et n'importe quoi plus que jamais. Les lycanthropes sont les créatures les plus puissantes que je connaisse, à mon avis tu dissuades bien des vampires de s'en prendre à ton entourage sans vraiment t'en rendre compte.

J’eus un frisson, espérant qu’il dise vrai. Pour tout. Mais la peur ne nous rend pas vraiment rationnels. Et puis les vampires… Je préférai éviter d’en croiser avant un certain temps si possible, cela ne me rassurait pas vraiment toutes ces histoires. Morgan me regarda en souriant, avant de reprendre :

-Évidemment tu manques d'expérience, c'est une évidence. Avec le temps ton sixième sens va s'aiguiser et tu ressentiras plus facilement les pressentiments... Personnellement je sens quand mes proches sont en danger et ça peut s'avérer très utile. Tu as tort de prendre ta transformation comme une malédiction, tout dépend de ce que tu fais de ce que la lune t'offre. Si tu te transformes régulièrement tu finiras par ne presque plus sentir la douleur en dehors de la pleine lune.

Nous n’avions pas le même point de vue, c’était une évidence… Mais je ne voyais pas comment aller contre ce qu’il me disait, pas plus qu’il ne pouvait me faire changer d’avis, du moins pour le moment. Et puis la douleur… rien que d’y penser, je blêmis. Je ne voulais pas me transformer hors des périodes de pleine lune ! C’était déjà assez handicapant comme ça sans en rajouter. Morgan me tira de mes pensées en reprenant la parole :

-Tu ne devrais pas rester seule Kasey, tu pourrais y arriver seule mais sans l'aide d'un autre lycanthrope ça risque d'être très difficile au début. Ton créateur a fait du très mauvais boulot si tu veux mon avis.

Je haussais les épaules, impuissante. Bien sur qu’il - ou elle, le saurai-je un jour ? – avait fait du mauvais boulot. Rien qu’en me touchant en fait.

-Et qu’est ce que tu veux que je fasse ? demandai-je doucement, pour éviter de laisser les sanglots que je sentais monter m’étouffer. Je ne peux pas m’enchainer à qui que ce soit pour lui imposer ça. Et je ne suis pas un cas cliniquement soignable. Et, au risque de me répéter, tu es la seule personne que je connaisse à être dans ce cas. Tu en as assez fait cette nuit je crois…

J’eus un petit sourire triste. Me concentrant un instant sur la route, il me sembla reconnaitre certains bosquets. Cela me rassura, nous étions sur le bon chemin pour retourner à ma voiture. Ouf. Enjambant une souche, je demandais à Morgan :

-Et… elle est revenue ? Ta créatrice je veux dire ?

Malgré tout, je ne pouvais pas garder toutes mes questions au fond de ma gorge. Bravo Kasey, la curiosité est un vilain défaut jeune fille !

Un court instant, Kasey ne me répondit pas, fixant le sol après avoir haussé les épaules suite à mes derniers mots. A la regarder, on aurait presque pu croire qu'elle était démoralisée, triste, comme si sa colère s'était envolée subitement pour laisser place à la souffrance qu'elle ressentait face à sa nouvelle nature. Je pinçai les lèvres, me demandant comment lui remonter le moral. J'étais très limité, j'appartenais à une meute, Éclipse, aussi j'avais des responsabilités - surtout en tant que second. Je ne pouvais pas me permettre de lui parler de tout et de rien sans savoir quelles conséquences cela pourrait avoir, et à en juger par le comportement de Kasey, elle ferait tout sauf nous rejoindre. La transformation semblait la répugner plus que l'exalter et manger de l'humain semblait compter parmi ses pires cauchemars, alors je ne me faisais pas d'illusions.


« Et qu’est ce que tu veux que je fasse ? Je ne peux pas m’enchainer à qui que ce soit pour lui imposer ça. Et je ne suis pas un cas cliniquement soignable. Et, au risque de me répéter, tu es la seule personne que je connaisse à être dans ce cas. Tu en as assez fait cette nuit je crois… »


Le problème ne concernait pas le fait que je l'ai déjà aidée, si cela ne tenait qu'à moi j'aurais pu être son mentor, pourquoi pas. Lui apprendre à se contrôler en dehors des nuits de pleine lune et, pourquoi pas, lui apprendre à s'aimer. Car de toute évidence, elle se détestait, elle détestait ce qu'elle était devenue, et elle détestait le monde pour l'avoir rendue comme ça. J'avais la sensation qu'à travers ses paroles elle me traitait de monstre sans cœur, d'être répugnant, de créature ne méritant pas d'exister ; je le prenais pour moi, car contrairement à elle, j'aimais ce que j'étais. J'aimais ma nature de lycanthrope, la puissance qu'elle me conférait, même si cela signifiait et j'avais décidé de vivre comme un lycan, non pas comme un humain. J'étais sauvage, je ne travaillais pas, passait mon temps à tuer, manger, voler pour construire ma vie, m'attaquer à des riches insouciants après avoir eu leur numéro de carte bancaire. Je vidais leur compte, je devenais riche jusqu'à ce que j'ai tout dépensé, et je le vivais bien. J'étais libre, je faisais ce que bon me semblait et j'aimais ma vie telle qu'elle était.
Kasey reprit la parole, sa voix reprenant un semblant d'assurance comparé à ses mots précédents qui s'étaient avérés être hésitants. Je relevai les yeux vers elle avec un sourire.


« Et… elle est revenue ? Ta créatrice je veux dire ? »


Je dévisageai un instant Kasey, le regard malicieux avant d'enfin regarder à nouveau devant moi, écoutant la nature tout autour de nous. C'était beau, silencieux, mais je n'oubliais pas que les jours qui suivaient la pleine lune étaient ceux que les Hunters et Dankirk préféraient pour chasser du lycanthrope.


« En fait elle ne m'avait jamais vraiment laissé, c'est moi qui l'ai fui. Elle m'a griffé, s'est enfuie en me demandant de la retrouver quand ce serait le moment, soit après la première nuit de pleine lune. Quand j'ai réalisé que j'étais devenu un lycanthrope j'ai pris peur, au lieu d'aller la retrouver j'ai fait ma valise et j'ai quitté la Russie sans prévenir mes parents, ni même mon petit frère. En apprenant que je m'étais enfui, Juliet a retourné la terre entière pour me retrouver, ça lui a pris deux ans pour débarquer à Forks en m'hurlant après. Elle me disait que ça avait beau être difficile, pour être un vrai lycanthrope je devais faire face à mes problèmes, je devais affronter ma première pleine lune seul, découvrir ma nouvelle nature seul. Et une fois que je saurais, alors elle m'aiderait. »


J'eus un petit sourire en me rappelant de mes retrouvailles avec elle. Le moins qu'on puisse dire, c'est que cela avait été explosif. Je jetai un nouveau regard à Kasey avant de hocher la tête. Juliet n'avait pas fait dans la douceur mais aujourd'hui son entraînement avait payé, je m'étais accepté, j'aimais ce que j'étais et j'avais fait d'énormes progrès.


« Juliet est une lycanthrope pure, ses parents étaient donc des lycanthropes avant elle, ce qui est devenu très rare depuis quelques décennies. Plus les racines de la lycanthropie remontent loin dans le passé et plus les lycans de la nouvelle génération sont puissants. Un lycanthrope pur qui transforme un être humain fait automatiquement de ce dernier un puissant lycan. Je t'aurais bien aidé à retrouver ton créateur - ou ta créatrice - histoire que tu saches dans quelle branche tu te situes, malheureusement j'ai des responsabilités auxquelles je ne peux déroger, étant le second d'une meute de lycans. »


Sur ces mots, je me penchai un peu pour passer sous une branche qui tombait bien bas, jusqu'à être presque aveuglé par le soleil. Nous venions d'atteindre la lisière de la forêt et nous n'étions plus protégés par les arbres. Je balayai les alentours du regard, avant de pointer du doigt un objet au loin.


« C'est pas ta voiture ça ? »


Etant donné qu'il n'y avait personne autour et que je ne ressentais aucune présence en dehors de la mienne et celle de Kasey, j'en conclus tout seul que oui. Je me tournai alors vers elle en lui adressant un sourire, fourrant les mains dans les poches de mon short.


« Fais attention à toi Kasey et prend ton temps pour les vêtements, Forks est une petite ville donc on se reverra bien assez tôt. »

Cette nuit avait définitivement changé ma vie. Ca c’était clair. Il y a une différence entre le fait de connaitre un danger, d’en être conscient, sans que cela soit arrivé, et être mis devant le fait accomplit. J’avais encore du mal à réagir, entre colère et peine. Je me demandais si je finirai par m’accepter… Il fallait donner du temps au temps. Un jour peut être… J’avais de toute façon l’éternité pour m’y faire, et qu’est ce que l’éternité, face à dix-neuf ans de vie normale ? Sauf que pour le moment, prendre du recule était un peu trop difficile pour moi. Je ne voulais pas, tout simplement. Mieux, je ne pouvais pas. Je n’arriverais pas à être ce que j’étais c’était totalement impossible à mes yeux. Morgan avait l’air étonné que je me déteste autant. C’était pourtant normal ? Plus que détester, c’était de la peur. J’étais morte de trouille à l’idée de ne pas réussir à me contrôler. J’aurais voulus enfouir tout ça dans un coin de ma tête et oublier vite fait. Mais c’était hélas impossible. Il fallait faire face, au moins une fois par mois, à ce que j’étais. Je refusais de me transformer le reste du temps. Ca ne pouvait pas être possible. Et si je faisais du mal à quelqu’un ? Si, comme celui ou celle qui m’avait mordue, je changeais la vie de quelqu’un ? Et surtout si je ne m’en rappelais pas ? Gardait-on conscience de nos actes quand on se transformait hors période de pleine lune ?

Tellement de questions que je n’osais poser à Morgan. Je ne savais rien du tout sur ce que nous étions, alors que lui semblait si content de l’être. C’était vraiment bizarre. Il me fallait quelques temps pour m’habituer à ce que j’étais, ce qui n’était pas prêt d’arriver. Peut être, comme disait Morgan, que j’avais besoin d’aide, de quelqu’un pour me guider, mais je ne voulais pas être un fardeau pour quelqu’un. Il n’y avait qu’à voir ma mère. Je semblais déjà peser assez lourd sur ses épaules sans en rajouter encore plus. J’étais tellement dans une phase de dénie que je refusais toutes les solutions qui m’étaient proposées. Il fallait déjà que je me calme et que je fasse le point avec moi-même, avant d’envisager quoi que ce soit. M’enfermer dans ma chambre pendant tout le weekend ne serait pas du luxe je pense. Ma mère allait adorer… J’imaginais déjà sa tête quand j’arriverai, elle ressemblerait à un agent de la CIA interrogeant un potentiel terroriste. C’était presque drôle, parce qu’un terroriste, j’en étais presque un, sauf que je ne le faisais pas exprès… Les arbres de la forêt s’écartaient devant nous au fur et à mesure que nous avancions. La forêt se clairsemait, preuve que nous nous rapprochions de la route. Parmi les milles et une question que je mourrais d’envie de poser à Morgan, en plus des réactions fatalistes que j’avais, l’une d’entre elle fini par se formuler clairement, concernant celle qui l’avait transformée. J’aurais aimé savoir ce que, normalement, un créateur était censé faire…

-En fait elle ne m'avait jamais vraiment laissé, c'est moi qui l'ai fui. Elle m'a griffé, s'est enfuie en me demandant de la retrouver quand ce serait le moment, soit après la première nuit de pleine lune. Quand j'ai réalisé que j'étais devenu un lycanthrope j'ai pris peur, au lieu d'aller la retrouver j'ai fait ma valise et j'ai quitté la Russie sans prévenir mes parents, ni même mon petit frère. En apprenant que je m'étais enfui, Juliet a retourné la terre entière pour me retrouver, ça lui a pris deux ans pour débarquer à Forks en m'hurlant après. Elle me disait que ça avait beau être difficile, pour être un vrai lycanthrope je devais faire face à mes problèmes, je devais affronter ma première pleine lune seul, découvrir ma nouvelle nature seul. Et une fois que je saurais, alors elle m'aiderait.

J’écoutais silencieusement, me disant que d’autres prenaient leur responsabilité, et que j’aurais préféré que ça soit le cas de celui qui m’avait mordu. Il se tut un instant, plongé dans ses pensées, avant de reprendre :

-Juliet est une lycanthrope pure, ses parents étaient donc des lycanthropes avant elle, ce qui est devenu très rare depuis quelques décennies. Plus les racines de la lycanthropie remontent loin dans le passé et plus les lycans de la nouvelle génération sont puissants. Un lycanthrope pur qui transforme un être humain fait automatiquement de ce dernier un puissant lycan. Je t'aurais bien aidé à retrouver ton créateur - ou ta créatrice - histoire que tu saches dans quelle branche tu te situes, malheureusement j'ai des responsabilités auxquelles je ne peux déroger, étant le second d'une meute de lycans.

Une meute ? Une question de plus à ajouter à ma liste, que je gardais en moi également. Je ne savais vraiment rien sur ce que j'étais... Je lui souris pourtant avant de répondre :

-Je ne suis pas sure de vouloir le retrouver de toute façon…

Enfin, la sorti de la forêt. Morgan me montra quelque chose du doigt, avant de me demander :

-C'est pas ta voiture ça ?

Je suivis le point indiqué, avant de reconnaitre le cabriolet bleu. Ouf. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’elle ne se soit pas fermé toute seule, que je n’avais pas perdu les clefs, ou encore que la batterie n’était pas à plat. Impossible de me rappeler si j’avais éteint la radio ou pas… Morgan me sourit, avant de me saluer :

-Fais attention à toi Kasey et prend ton temps pour les vêtements, Forks est une petite ville donc on se reverra bien assez tôt.

Je hochais la tête, avant de faire de grandes enjambées pour éviter les cailloux au sol. Note pour moi-même, toujours prévoir une paire de chaussure en plus… Je passais la zone dangereuse avant de me retourner vers Morgan :

-Morgan ? Merci…

Sans attendre de réponse, je repris mon chemin. Heureusement, la voiture était ouverte, la clef était sur le contact, et celui-ci était éteint. Donc tout allait bien. Je saisis mon portable dans mon sac à main, et allumait l’écran. 42 appelles en absence et 128 sms… Je n’osais même pas regarder ma messagerie vocale…