N’ayant pas chassé pendant deux semaines, je ressentais un besoin incommensurable de soulager cette gorge sèche qui prenait feu, au sens figuré bien entendu, après ces semaines d’abstention. Mon venin emplissait ma trachée lorsqu’une proie, une petite biche s’était placée juste devant mes yeux, à quelques mètres de l’arbre sur le tronc duquel je m’étais plaqué. L’animal était sur le point de se nourrir, calme et prospère lorsque son instinct de survie lui fit dresser l’une de ses fines oreilles. Sa tête s’était inclinée sur le côté, aussi rapidement que ses pattes s’étaient positionnées de manière ferme, sur la terre boueuse. Avant de passer à l’action, je l’avais fixé avec avidité et convoitise, pendant quelques minutes, songeant entretemps à ce que ma vie aurait été si je n’avais pas été transformé. Chaque bruissement des arbres m’était perceptible, chaque odeur, pourtant multiples, m’était reconnaissable. Je pouvais, grâce à cette vue de lynx, repérer chaque goutte d’eau qui s’écoulait le long des feuilles, frôlant ma manche, sentir chaque branche fouettant mes bras lorsque je courrais à vive allure derrière l’un de mes futurs repas. La forêt n’avait plus aucuns secrets pour moi. Cette légère odeur d’herbe mouillée, cette senteur de bois mêlé aux sapins m’étaient si familière désormais. J’avais besoin de changement, d’évasion, d’un autre environnement. Je souhaitais mettre fin à cet épilogue désastreux de ma vie éternelle : Forks ne m’intéressait plus. Pourtant, je ne pouvais délaisser mon clan. Cependant quelques jours chez les Dénalis, mes chères cousines n’auraient pas été de refus. J’y trouvais un repos que je ne pouvais plus acquérir dans cette petite bourgade envahie de toute part. Leur décès me causait encore une certaine affliction.
L’espace d’une minute, cette sensation de mal être disparu pendant que le sang de ma proie réchauffait ma gorge, circulait dans mes veines, apaisait l’aridité de mon palet, et enflammait mes sens. J’en voulais davantage. A peine avais-je relâché cette masse que ma gorge réclamait à nouveau son dû, ce qu’elle n’obtiendrait jamais : une satiété. Il m’arrivait parfois, et je dois l’avouer, de désiré avec intensité ce sang chaud, voluptueux et fruité, ce sang qui me permettait d’être assouvrit pleinement. Ma conscience me frappa de plein fouet et des remords m’empêchèrent d’y songer de nouveau. Pourtant, que n’aurais-je pas donné pour pouvoir en ingurgiter un peu ? Je fus ravi qu’aucun membre de ma famille n’ait mon don. Il m’aurait été insupportable qu’ils puissent découvrir toutes mes sombres espérances, connaître toutes les souffrances qui me rongeaient. Je les comprenais, un peu mieux, lorsqu’ils s’offusquaient de mon intrusion intempestive dans leur « jardin secret ». Le feuillage était si broussailleux et touffu qu’aucun rayon de soleil ne les traversait.
Au loin, le bruit d’un ruisseau s’écoulant avec lenteur suscita un vif intérêt de ma part. Souhaitant laver ma main encore empreinte du sang de ma proie, je me hâtais vers cette source d’eau, contournant de longs chênes et de nombreux sapins. J’interrompis brutalement ma démarche lorsqu’une odeur singulière alarma mes sens. Bien entendu, j’avais tout de suite réalisé qu’il ne s’agissait pas d’un humain, leur parfum était bien plus enivrant. Sautant par-dessus un large tronc, je m’avançais avec prudence vers cette dernière. La curiosité n’avait jamais été l’un de mes défaut, j’avais toujours été méfiant et distant envers les autres. Mais, depuis que des nomades gambadaient dans notre contrée, mon instinct de prédateur avait le dessus sur mon indifférence. Peut-être souhaitais-je tout simplement protéger Bella en tentant de faire reculer ces vampires ? Ma main agrippa une branche lorsque mon regard riva une jeune femme brune. Spontanément je sus qu’il s’agissait d’un vampire. Son parfum ne me dupait pas, ni sa beauté que revêtait chaque membre de notre espèce. Elle s’était un peu courbé, adoptant une attitude que j’aurais également prise face à un autre monstre de notre acabit. Intrigué mais souhaitant évacuer toute hostilité, je me déplaçais lentement, sans geste abrupt, pour ne pas effrayer ou déclencher une bataille, sans merci, avec la dite personne. Ses songes m’interloquaient. La vengeance hantait son esprit, la tiraillait.
-Loin de moi l’idée de vous déranger, débutais-je, usant de délicatesse et de compassion. Les arguments de Carlisle avaient-ils eu raison de moi? Devenais-je un arbitre au sein de ces conflits incessants ? Mais seriez-vous à la recherche d’une personne en particulier ?
D’ordinaire je n’appréciais pas cette attitude si altruiste de mon mentor, du moins la trouvais-je déplacer. Après tout, ce n’était pas mes affaires. Cependant, les réflexions de cette femme ne me laissèrent pas indifférents. Si je pouvais éviter une quelconque altercation s’achevant dans une mare de sang et éveillant l’effroi et la consternation des mortels, n’était-ce pas utile pour mon clan ?